Projet ANR-DFG
« EIKON» : La vie des portraits grecs
Les portraits en ronde-bosse, c’est-à-dire les représentations plastiques de personnages historiques, constituent l’un des traits caractéristiques de la culture visuelle du monde antique gréco-romain, et ce dès l’époque archaïque. Dans les humanités classiques, les portraits grecs ont surtout fait l’objet d’une approche stylistique. Depuis un quart de siècle, les chercheurs les examinent d’un œil neuf, selon un angle typologique et iconographique privilégiant les analyses catégorielles (par ex. les statues de chefs politiques et militaires, de femmes ou d’intellectuels), ou selon une approche fonctionnelle qui met en évidence les usages auxquels ils étaient destinés – en tant que statues de culte, portraits votifs ou effigies honorifiques. Une troisième voie les considère encore d’après leur réception par les spectateurs antiques et leur développement littéraire dans le genre de l’ekphrasis.
Le caractère innovant de l’ANR-DFG est de mettre délibérément l’accent sur la vie des statues après leur exposition – c’est-à-dire sur la communication et le rapport que les acteurs sociaux entretiennent avec les portraits. Ceux-ci seront étudiés en tant que médias de la mémoire et de la durée d’une représentation individuelle dans une perspective matérielle, spatiale, urbanistique, topographique et mentale. La durée de leur présence physique est ainsi interprétée en relation avec les transformations de leurs contextes concrets d’utilisation et de réception.
Pratiques du portrait et recontextualisation
EIKON porte ainsi sur les processus de réception et d’appropriation des portraits grecs, ainsi que sur les contextes médiatiques, religieux et sociaux de ces processus. Il faut donc prendre en considération deux sphères fondamentales qui concernent l’existence des portraits grecs : les actions performatives du traitement des portraits (les pratiques du portrait) et les changements dans leur placement, ou dans leurs contextes mentaux (la recontextualisation).
On désigne comme pratiques du portrait les formes directes d’utilisation, d’entretien, de complément, de transformation, etc. de statues portraits, jusqu’à leur transport dans de nouveaux contextes d’exposition ou jusqu’à leur destruction. Cette étude inclut leur utilisation lors des actes rituels.
Par ailleurs, les portraits grecs se caractérisent par un lieu d’exposition primaire qui est clairement défini comme composante d’une structure complexe sémantique et visuelle : une statue avec base et inscription, enchâssée dans un contexte fonctionnel (ex-voto/ sanctuaire ; honneur/agora ; funéraire, etc.) et donc inscrite dans des rapports spatiaux et visuels immédiatement perceptibles (statues voisines, cheminements/axes visuels, surélévation, intégration dans une architecture, dans un bâtiment spécifique, etc.). Une fois le portrait érigé, ces environnements ne restent que relativement stables : on assiste dès lors à des recontextualisations. Les transformations peuvent survenir directement en rapport avec la statue portrait elle-même, afin que l’attention soit concentrée expressément sur cet objet (par déplacement, encadrement architectural secondaire, ajout supplémentaire de statues, effacement ou renouvellement de l’inscription, etc.). Ou encore, les conditions générales s’exercent indépendamment de la statue portrait, par des réaménagements extérieurs des environs du lieu d’exposition (agrandissement du temple voisin, exposition d’un groupe statuaire à proximité, stoa en arrière-plan, etc.). Des formes indirectes de la recontextualisation des portraits sont également pratiquées par représentation dans d’autres médias : soit dans la littérature et l’historiographie (descriptions, sélection comme exemples), soit par reproduction.
Chronologie et espace du projet
L’étude commence avec le début du Ve siècle, car c’est le moment où l’individualisation physionomique des portraits devient un phénomène important dans la sémantique des portraits, qui changent de signification dans l’espace politique de la polis. La période qui s’étend du IVe au I er siècle voit l’apogée du portrait grec, en particulier sous la forme des statues honorifiques, qui peuplèrent en grand nombre les places publiques et les temples. Le corpus examiné dans le cadre d’EIKON ne va pas au-delà du Ier siècle av. J.-C. et exclut expressément l’époque impériale, qui est bien étudiée et où le phénomène de la copie, bien établi, crée un tout autre contexte. Si l’accent est mis sur des lieux emblématiques du monde grec, qui offrent un riche matériel mis au jour (notamment Délos, Athènes, les sanctuaires panhelléniques et Pergame), des cas moins connus seront également exploités.